Notre étude est fondée sur des données issues de la chronométrie mentale portant sur l'acquisition et le traitement langagier. Notre travail de terrain auprès des écoles de 2nde chance (E2C), se donne comme objectif de spécifier le fonctionnement du lexique mental durant le traitement (lecture) des mots morphologiquement complexes, ainsi que les représentations sur lesquelles il repose. Le type de public avec lequel nous avons choisi de travailler, i.e., les stagiaires de l'E2C, n'est pas souvent pris en compte dans le cadre d'études sur le traitement langagier (processing). Les participants de notre étude sont des monolingues et/ou plurilingues stagiaires de l'E2C, dont la langue quotidienne et de scolarité est le français, par ex. JP, 21 ans, scolarisé en France jusqu'à la 2nde, qui déclare avoir comme L1 le fr./esp./ar., ou encore M., 19 ans, scolarisé jusqu'à la 6ème au Mali, qui vit depuis un an en France et qui a comme L1 le bambara et comme L2 le français. Ce type de public est sous-représenté dans la littérature du domaine (Andrews & Lo, 2013) et se distingue, du point de vue de la linéarité du parcours éducatif, de la population classique de type ‘étudiant à l'université', habituellement concernée par ce type de protocole. L'expérience présentée ici emploie la technique de l'amorçage masqué (masked priming). Les stimuli testés sont 188 items (84 mots, 84 non-mots + items de remplissage), de fréquence lexicale plutôt réduite (M= 9 occ/m), présentés de façon aléatoire dans une tâche de décision lexicale. Parmi les cibles préfixées, 42 contenaient le préfixe pro-/pré-/pre- (ex. prolongé, préjugé) et 42 le préfixe con-/com-/co- (ex. composé, corrélation). Nos résultats, après analyse statistique, (Anova) indiquent des effets de répétition et morphologiques statistiquement significatifs : les premiers se différencient en fonction du préfixe ; les seconds sont équivalents pour les deux préfixes (30ms approx.). Nos résultats démontrent avant tout que pour cette durée de 48ms de présentation de l'amorce, durée ne permettant pas l'identification consciente de l'amorce (ex. coexistence) qui précède la présentation de la cible (ex. coexister), nos participants établissent un rapport entre les deux mots morphologiquement reliés, ce qui constitue un indice de la force des connexions au sein du lexique mental. Sur le plan didactique, l'idée est que l'on pourrait (et devrait) s'appuyer sur ces connexions afin de (re)construire ou renforcer la structuration paradigmatique du lexique complexe. Nos résultats sont interprétés dans le cadre d'une approche paradigmatique de la morphologie (ex. Corbin, 1987; Booij, 2010), qui n'attribue pas une primauté absolue aux facteurs formels, mais qui conçoit le rapport morphologique à la fois sur le plan de la forme et du sens.
Andrews, S. & Lo S. (2013). Is morphological priming stronger for transparent than opaque words? It depends on individual differences in spelling and vocabulary. Journal of Memory and Language, 68(3), 279-296.
Booij, G. (2010). Construction Morphology. Oxford: Oxford University Press.
Corbin, D. (1987/1991). Morphologie dérivationnelle et structuration du lexique, vol. 2. Tübingen /Villeneuve d'Ascq : Max Niemeyer Verlag / Presses Universitaires de Lille.
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